Mythologie nordique : L'allégorie de Baldr

Mythologie nordique : L'allégorie de Baldr
« Il est si beau et brillant qu'il émet de la lumière. [...] Il est le plus sage des dieux, et le plus habile à parler et le plus clément. Mais l'une de ses caractéristiques est que, [étant jeune], aucune de ses décisions ne semblait efficace. »

Vous connaissez peut-être Baldr. C’est l’un des fils d’Odin, figure centrale de la mythologie scandinave.

C’est le dieu nordique de la beauté, de la lumière et surtout de la jeunesse. Et vous allez rapidement voir que, si sur papier, cela semble génial... son histoire est plutôt sombre.

Un dieu beau et lumineux mais pas exempt de défauts 

Baldr est beau. Jeune. Enthousiaste. Heureux & d'une habileté hors du commun. Il l'est tellement qu'une douce lumière émane de sa personne. L’Edda, le récit nordique le plus important qui nous soit parvenu, est formel sur sa description.

Pourtant, malgré la sagesse apparente qu'on lui associera, Baldr est au départ, sujet à l'arrogance, et son inexpérience le fait échouer dans presque tout ce qu’il entreprend. Ce n'est pas un dieu malchanceux, mais imprudent et insouciant.

Baldr, un dieu destiné à mourir.

La première partie de l'Edda, on découvre un Baldr effrayé par des rêves sinistres qui lui montrent sa propre mort. Inquiet, Odin son père se rend en Nifhleim, interroger l’âme d’une prophétesse défunte, qui lui révèle le sort de son fils.

Frigg, la mère de Baldr, s'entreprend à ce que toute mère aurait fait : protéger son fils. Utilisant son art de la magie, elle fait jurer à tous les éléments, minéraux et végétaux, mais aussi les animaux de tous les mondes, de ne jamais faire de mal à Baldr.

Le sort marche si bien, que Baldr semble bientôt être devenu invulnérable. Il s’en amuse tant et si bien, qu’il laisse d’autres dieux lui envoyer toutes sortes de choses dessus, ce qui le laisse totalement indemne.

Vous sentez venir les problèmes ?

Car oui, dans les mythes scandinaves, c’est quand tout semble se passer correctement qu’intervient généralement Loki.

Ce dernier, dieu de la malice, cultive un certain ressentiment pour Baldr depuis toujours, mais plus encore depuis qu’il est devenu le centre de l’attention. Il le juge trop arrogant, ce qu’on peut comprendre vu le contexte.

Loki se change alors en femme, et, approchant Frigg, parvient à lui retirer un aveu : la mère de Bald a oublié, dans la précipitation, de faire prêter serment au Gui, tant cette plante semblait jeune et inoffensive.

Pour le dieu de la malice, c’est le moment de s’amuser. Il se fournit aussitôt un bâton de gui, qu’il taille en lance (ou en flèche selon les sources) et le donne à Höd, le dieu aveugle, en lui proposant de le guider pour lancer le bâton/tirer à l’arc.

Le trait de gui filant, Baldr est transpercé et meurt aussitôt, devant l’effroi des autres dieux.

Imaginez un peu l’ambiance. Tout le monde balance à la figure de Baldr des objets qui n’ont aucun effet, et soudain, Loki arrive, et un dieu finit embroché. On a connu mieux comme expérience immersive.

Devant le désarroi de chacun, c’est Hermod, un autre frère de Baldr, qui se propose d’intervenir. Il prend le cheval de son père (Sleipnirr, à 8 pattes), et chevauche vers le Royaume de Hel (Helleim), pour essayer d'en ressusciter Baldr.

Mais pendant ce temps, les autres Dieux ne peuvent rester les bras croisés, et décident de procéder aux funérailles de Baldr. Le récit nous raconte plusieurs déboires de ces funérailles qui furent compliquées à organiser : difficulté de déplacer le navire funéraire (qui refuse de bouger), l’aide d’une géante pour le mouvoir (créant un véritable chaos et faisant trembler la terre), et le sale caractère de Thor qui, excédé, finira par envoyer un nain dans le feu d'un coup de pied, car celui-ci courrait devant lui au moment de la consécration du bucher. (On vous a vu sourire, ne mentez pas ! Et puis c'est qu'un nain, ça va. Y en a plein sous terre).

Dans un registre plus triste, il nous faut aussi rapporter que Nanna, l'épouse de Baldr, suivit son défunt époux sur le bûcher, et que Höd son frère, coupable de sa mort, fut contraint lui aussi à être exécuté peu après - un destin terrible qu'il accepta le cœur brisé, ne pouvant se résoudre à vivre comme fratricide.

Hermod pendant ce temps, arrive dans la demeure de Hel, et trouve Baldr assis avec les honneurs dans la grande Halle de la déesse. Le lendemain, il supplie Hel de permettre à Baldr de rentrer avec lui, et celle-ci accepte uniquement si tout le monde, vivant ou non, dans le monde, pleure Baldr. Mais si la moindre personne, ou le moindre objet, ne regrettait rien, alors il resterait en Helleïm.

Rentrant en Asgard (le royaume d’Odin et des Ases, donc les dieux qui s’amusaient à envoyer des choses à la figure de Baldr au début du récit), Hermod transmet les demandes de Hel. Aussitôt, les Ases envoient des messages à travers les 9 mondes, demandant à chaque chose qui existe de pleurer Baldr. Ce que tous firent. Sauf une personne. Une géante, Thokk, que l’on présume avoir été Loki déguisé.

De ce fait, Baldr demeurera auprès de Hel

Mais pas pour toujours.

Lorsque le monde renaîtra après le Ragnarök (la fin du monde scandinave, même si c'est plus cyclique et pas vraiment aussi simple), Baldr quittera la maison des morts avec son frère Höd, celui-là même qui, aveugle, l’avait tué, guidé par Loki.

Alors l’herbe renaîtra, et dans sa sagesse, Baldr rassemblera tous les fils et les filles des dieux survivants. Il deviendra Roi, à la place de son père défunt.

L'interprétations allégorique (que vous attendiez)

Si le récit est à la fois drôle, touchant et dramatique, c’est surtout un enseignement profond qui aujourd’hui encore, nous transmet une leçon qui ne vieillit pas.

Baldr, vous l’avez compris, c’est l'enfant doué à qui tout sourit et qui pense pouvoir se reposer sur ses acquis. Ils représente cette fougue de la jeunesse qui pense pouvoir renverser le monde, jusqu'au moment où elle (cette fougue) se confronte à un mur trop haut : une épreuve indomptable, un cœur qui ne pourra être conquis, une bataille qui ne pourra pas être remportée, une douleur qui les maintiendra éveillés la nuit...

Car Baldr, avant de mourir bêtement, a connu de nombreux échecs.

Il est un dieu jeune qui est réputé pour ses échecs par manque d’expérience.
Il perd des batailles, même aux côtés de Thor ou d’Odin.

Il échoue au départ à conquérir Nanna, sa femme.
Et souvent, ses décisions n’ont aucune portée. Il est prisonnier de son destin et de son inexpérience. Mais il ne semble pas le voir.

Il représente donc les deux faces de la jeunesse :

  • D’un côté la beauté, l’énergie, la fougue.
  • De l’autre, l’incapacité de se remettre en question, l’arrogance, l’inexpérience

Et cette jeunesse est destinée à s’effacer (mourir) un jour. Sans ça, il ne deviendrait jamais adulte. Non pas un adulte parfait, mais un adulte qui a conscience de ses limites et qui sait rester humble sur ses capacités.

Car Baldr était condamné à échouer. Et c’est une bonne chose.

Baldr meurt par arrogance : il mettait sa vie en danger en éprouvant le sort de sa mère qui le rendait invulnérable.

Sa mort est une leçon de réalité pour tous les Dieux, qui par son biais, ont aussi fait preuve d’arrogance et d’irresponsabilité.

La mort de Baldr fait donc aussi grandir les autres Dieux.

La mort est à prendre symboliquement : un jour, Baldr reviendra, plus grand, plus sage, et il prendra la place de son père. C’est l’enfant qui, effaçant son ego pour devenir un élève de la vie, devra un jour revenir sur le devant de la scène, pour prendre ses responsabilités. Parfois après avoir traversé l'enfer. (Même si, on vous voir venir, la demeure de Hel n'est absolument pas l'Enfer auquel la conception chrétienne nous a habitué, vous avez raison !)

Dans la vraie vie, c’est parfois au décès d’un parent, d’un grand père ou d’une grande mère, que la future génération revendique ses responsabilités… et fait comme Baldr après le Ragnarök.

C’est à ce moment là, qu’il peut être associé en toute légitimité au “Plus sage des dieux”, justement car il est mort à lui même, et a profité de son séjour en Helleim pour grandir intérieurement.

Ce que l'on peut en retirer

On peut affirmer sans crainte que l'apogée de Baldr n'a pu se faire qu'après une mort symbolisant l'avancée de la vie, l'expérience et plus que ça : les échecs et les erreurs dont il a fallu se relever et tirer des apprentissages.

Peu importe à quel point nos rêves de jeunesse sont dorés, peu importe à quel point nous semblons compétents, la réalité de la vie sera brutale si nous refusons d’être humble et prudent. (L’inverse de la fougue - l’un comme l’autre étant mauvais s’ils ne s'équilibrent pas. Une personne trop prudente n'entreprendra rien. Une personne trop fougueuse se mettra en danger.)

Pareillement, le rêve reste rêve à moins d'être transfiguré par l'expérience et planifié pour sa réussite, ce qui peut prendre de nombreuses années. Et souvent, la certitude de tout savoir, tout connaitre, nous pousse à l’arrogance, à l’échec… ou à se faire du mal.

Comme un air de déjà-vu ?

Certaines personnes font le syncrétisme allégorique de Baldr avec Achille, le héros grec. Mais je trouve personnellement ce rapprochement trop rapide. En dehors de l’invulnérabilité quasi complète et de la faille insoupçonnée (le talon pour l’un, le gui pour l’autre), ou encore la prophétie (Achille sait qu’il va mourir s’il va en Troade, Baldr le voit en rêve), le héros Grec n’est pas effrayé par la mort : il est effrayé de ne pas devenir célèbre, et accepte son destin avec la joie tant que son décès marque les esprits.

Le rapprochement monothéiste avec Jésus puis le Christ est à la rigueur plus intéressante : on retrouve le retour de Jésus (Baldr) après l’Apocalypse (le Ragnarök), il est mort pour les pêchés des autres (Baldr en raison des pêchés des autres dieux qui s’amusaient à lui envoyer des choses contondantes) et ils sont tous deux associés à une grande sagesse une fois qu'ils ont été initiés (sagesse qui fait défaut à Achille, qui est un guerrier). Et tous deux seront des Rois une fois ressuscités. Cependant, cela s’arrête là, et il est fort possible que le folklore chrétien ait entaché les traductions et le folklore des anciens textes scandinaves, au point qu’il est impossible de savoir quel personnage, de Jésus ou de Baldr, a inspiré l’autre, selon l’endroit où le mythe fut retranscrit. En effet, l’Edda de Snorri est écrit très tardivement, en pleine expansion du christianisme dans le nord de l'Europe.

Mais après tout, quelle importance, dans le cas présent ? L’allégorie n’en perd pas de sa superbe, et continue de nous transmettre sa leçon… Ce qui est le rôle initial d’un Mythe. Ce qui en fait, à mon goût, le moyen le plus efficace de transmission d'une sagesse ou d'un enseignement, soit dit en passant infiniment moins dangereux que le Dogme. Dans le Mythe, ce n'est pas la forme qui compte, mais le fond.

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Enfin, et pour l'anecdote, vous serez heureux d'apprendre qu'en Islandeune fleur porte le nom du dieu Lumineux : Baldrsbrá, le Cil de Baldr, qui est d'une blancheur immaculée...

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1 commentaire

  • Raphaël

    Merci pour le chouette récit de ce mythe qui a une grande originalité dans son message. Un très bon archétype qui gagnerait à se faire connaître !

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